Hébergement d’urgence en Ile-de-France : 12 000 familles environ logées à l’hôtel....

Publié le par Sam Menerve

« Un élève sans abri, c’était ma hantise ! » Ce cri du cœur d’une assistante sociale, en poste jusqu’à l’an dernier dans un lycée de Seine-Saint-Denis, résume le désarroi du monde scolaire lorsque les familles tombent à la rue. Car l’école est bien démunie face à ce type d’urgence. Le fonds social dont disposent les établissements sert parfois à payer quelques chambres d’hôtel. La solidarité joue aussi. L’an dernier, élèves et profs du lycée Blanqui à Saint-Ouen (Seine-Saint-Denis) avaient collecté de quoi loger provisoirement les familles d’élèves SDF. Mais c’est souvent l’impasse. « Je suis parfois restée une heure au téléphone pour tenter de joindre le 115, sans succès. Il est arrivé qu’un prof finisse par héberger un lycéen chez lui, faute de solution », raconte encore cette assistante sociale, qui note le nombre croissant de jeunes « venus de l’étranger, hébergés au début chez un parent ou un ami, puis qui se retrouvent sans rien ».

Combien sont-ils, mineurs ou majeurs, à se rendre ainsi à l’école après une nuit passée dehors ? Impossible à dire, répond-on au Rectorat de Créteil, qui souligne aussi : « Les élèves n’en parlent pas facilement. » Lorsqu’il s’agit d’enfants, l’établissement scolaire peut saisir les services sociaux du département. Sinon, il ne reste que le numéro d’urgence du 115.

Mais le dispositif, qui n’a jamais été aussi important en Ile-de-France, est saturé. L’Etat héberge au quotidien 95 000 personnes en région parisienne. 36 000 d’entre elles environ (soit environ 12 000 familles) logent à l’hôtel, selon le Samu social de Paris. 44 % d’entre elles y résident depuis plus de deux ans, faute d’autre solution.

L’engorgement, qui frappe depuis longtemps les centres d’hébergement, touche désormais aussi les nuitées hôtelières, financées par l’Etat. « L’intérêt de l’hôtel, c’est que ça permettait de s’adapter aux besoins en fonction des jours. Mais on n’obtient plus de chambres supplémentaires », note Christine Laconde, directrice générale du Samu social parisien. Résultat : nombre d’appels au 115 restent sans réponse. Début septembre, en une journée, le Samu social de Paris n’a ainsi pu répondre aux demandes de 314 ménages, soit 988 personnes… dont 514 enfants.

Face à l’urgence croissante, l’Etat a mis en œuvre dès 2015 un plan de réduction du recours aux nuitées hôtelières. L’objectif était de freiner l’augmentation exponentielle du nombre de chambres mobilisées en Ile-de-France, en trouvant des alternatives à l’hôtel. La préfecture affirme qu’en deux ans, il a permis d’éviter le recours à 4 600 nuitées quotidiennes supplémentaires. Insuffisant, aux yeux des associations, anxieuses à l’approche de l’hiver : « Il faudra un deuxième plan, plus ambitieux », estime Christine Laconde.

« J’ai abrité des familles SDF dans mon collège »

Gérer les emplois du temps, régler les problèmes de discipline, dialoguer avec les profs et les familles… Voilà quelques-unes des tâches d’un principal de collège. Mais que doit-il faire lorsqu’il découvre que ses élèves dorment à la rue ? La question n’a rien de théorique. L’Ile-de-France compte de plus en plus de familles dépendant des dispositifs d’hébergement d’urgence… eux-mêmes saturés. Face à des élèves SDF, les équipes éducatives se sentent bien démunies. Sous couvert d’anonymat, un principal, en poste dans un collège de banlieue, confie comment il a dû récemment basculer dans l’illégalité, pour « rester humain ».

A quoi avez-vous été confronté lors de l’année scolaire passée ?

A deux reprises, on a découvert que des élèves du collège étaient à la rue. La première famille avait déjà passé deux nuits dans une gare lorsque nous avons été alertés. L’assistante sociale a cherché des solutions durant toute une journée, sans succès. Le soir, on a décidé de payer deux nuits d’hôtel avec le Fonds social, une enveloppe qui sert habituellement à faciliter la scolarité, en payant la cantine, du matériel de sport, des lunettes…

Que s’est-il passé ensuite ?

Après les deux nuits d’hôtel, il n’y avait toujours aucune solution. J’ai alerté tous mes interlocuteurs. L’assistante sociale a fait de même. La réponse était toujours la même : appelez le 115 (NDLR : numéro d’urgence pour les sans-abri). Et le 115 était injoignable… Alors j’ai pris la décision d’héberger la famille dans le collège.

Vous preniez un risque ?

Je risquais mon poste, puisque j’enfreins la loi en hébergeant des gens dans un lieu qui n’est pas prévu pour cela. Seules quelques personnes étaient au courant. La famille s’est installée dans un local réservé aux agents d’entretien, équipé d’une douche, de toilettes. Cela a duré un mois et demi. Il a fallu l’action soutenue d’un comité de soutien, avec des profs, des parents, des élus, pour obtenir un hébergement.

Quelques mois plus tard, vous avez fait face à un cas similaire…

Nous avons découvert qu’une deuxième famille, expulsée, était elle aussi à la rue. C’était une famille nombreuse. Il devenait difficile de lui payer l’hôtel, nos fonds n’étant pas illimités. J’ai décidé très vite de lui ouvrir le même local.

Quel était alors votre sentiment ?

Je dormais mal. Je craignais le moindre incident. Si un enfant se blessait à l’intérieur des locaux, si la maman, enceinte, avait un souci de santé, que se serait-il passé ? J’aurais été le seul responsable. Certes, j’aurais pu rester dans ma simple position de chef d’établissement, ne pas héberger cette famille. Mais c’était inhumain. Comment laisser partir une enfant le soir, et lui demander le lendemain de travailler en classe… en sachant qu’elle a dormi dehors ?

Vous vous êtes senti impuissant ?

Psychologiquement, c’est compliqué. On fait remonter les informations à l’inspection académique, au département, à la ville… Mais les services se renvoient la balle. Il y a un vrai problème de logement. Ce n’est pas nouveau : dans un établissement où j’étais auparavant, certaines familles vivaient à quatre dans un même appartement. Les marchands de sommeil ont de beaux jours devant eux…

Avez-vous pu en parler autour de vous ?

Non, on se sent très seul. Je n’ai pas osé en parler à d’autres chefs d’établissement que je connais, mais je suis sûr que certains d’entre eux ont déjà agi comme moi. J’aimerais que nous soyons un peu plus soutenus par notre hiérarchie. Rien qu’un numéro direct pour joindre le 115, ce serait déjà beaucoup.

Propos recueillis par Gwenael Bourdon

http://www.leparisien.fr/val-d-oise-95/hebergement-d-urgence-en-ile-de-france-12-000-familles-environ-logees-a-l-hotel-03-10-2017-7305348.php

 

 

Publié dans Actualités, France, Migrants

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